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Jamais je n’oublierai ce 25 novembre à Clermont-Ferrand !
samedi 10 décembre 2022, par
A vingt ans, Serge Pauthe part faire son service militaire en Algérie. Pendant 27 mois, il y fera une guerre dont il rendra le douloureux témoignage 33 ans plus tard en adaptant, sous le titre « Chers Parents », les lettres qu’il écrivait alors à ses proches.
Devenu comédien, Serge Pauthe jouera de grands textes du répertoire sous la direction de metteurs en scène mythiques comme Patrice Chéreau ou Maurice Maréchal. Fin novembre, il était invité à la manifestation organisée par la 4acg à Clermont-Ferrand. Sa lecture de « Chers Parents » a créé un choc. Choc que lui-même a ressenti très fort, et qui l’a incité à nous adresser le message qui suit :
Depuis 30 ans, je présente ces lettres à mes parents. Écrites durant mes 27 mois de service militaire en Algérie de 1959 à 1961, durant cette guerre où 1 743 000 jeunes gens de mon âge furent mobilisés. Ces lettres, je les ai dites dans beaucoup de lieux en France. Dans des théâtres, des cinémas, lieux associatifs… Partout, une écoute, une attention, une émotion immédiate partagée avec le public. Je me rappelle la première lecture au Centre Culturel de Vaulx-en-Velin en 1993. Lorsque j’ai tiré la première lettre de l’enveloppe, mes mains se sont mises à trembler. Jʹavais l’impression que lʹencre n’était pas sèche
Mais le 25 novembre 2022…
… un mois avant la Nativité, jʹai vécu des choses étonnantes à Clermont-Ferrand. Que tous les ami.e.s qui m’ont invité précédemment ne sʹen offusquent pas. Chez eux aussi, je me rappelle les moments forts et passionnants concernant les échanges après ces deux heures parfois de témoignages.
Mais ce qui s’est passé le 25 novembre 2022 à Clermont-Ferrand mérite d’être conté. Je vous explique : dʹabord, connaissez-vous la 4ACG ? En mettant les mots qui correspondent, vous comprendrez très vite de quoi il s’agit : ʺ Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre ». Ce nʹest donc pas une nouvelle Fédération d’Anciens Combattants, mais une association qui fédère les anciens Appelés, leurs amis et des associations algériennes œuvrant dans le social. En somme, les membres de cette association veulent financer des opérations de développement dans un but de solidarité, de soutien et de réparation en faveur des populations qui souffrent de la guerre, en reversant leur retraite du combattant à l’association. Et travailler, avec les Algériens qui partagent ses valeurs, à la réconciliation de nos deux peuples.
Je ne pouvais que souscrire à cette déclaration. Enfin, une association d’Appelés qui se solidarise avec le Peuple Algérien ! Qui ne décompte pas uniquement « ses morts pour la Franceʺ. Je me souviens encore avec tristesse et amertume d’une cérémonie du 19 mars, journée anniversaire de la fin de la Guerre dʹAlgérie, où l’orateur avait parlé de nos 25 000 morts en Algérie sans évoquer que la force de nos armes avait tué plus d’un million d’Algériens. Je lui ai fait remarquer gentiment quʹil aurai pu parler des morts Algériens mais l’acuité de son regard mʹavait fait battre en retraite. Mieux valait ne pas insister.
Comprenez- vous à présent…
… que le public de cette soirée avait tout pour me satisfaire dans mon élan de communiquer cette part de ma vie consacrée à accomplir des tâches inhumaines ? Il y avait ce soir-là des gens de mon âge qui avaient trempé leurs mouchoirs dans les oueds brûlants pour se rafraîchir la nuque entre deux opérations militaires. Des jeunes aussi, assoiffés d’en savoir plus sur cette guerre dont on nʹa pas ouvert tous les secrets. Et des hommes et des femmes algériennes dont lʹune avait subi dans son village les méfaits de lʹarmée française. Et quʹelle avait été sauvée par un appelé quʹelle cherche désespérément à retrouver.
Cʹétait la première fois que je voyais toutes les composantes de cette France durant ces années coloniales. Dʹun côté, nos ennemis » qui voulaient leur indépendance. De lʹautre, les Appelés obligés de faire une guerre sous peine d’être fusillés pour désertion et revenant 27 mois plus tard avec la honte et le mutisme au fond des tripes. Ce soir-là, devant ce public rêvé, j’ai totalement oublié que je me relevais d’un Covid et dʹune bronchite tenace. Jʹai donné toute mon âme à ceux qui étaient venus pour connaître la vie dʹun appelé d’autrefois. Je suis resté une heure et cinquante minutes en scène. Une heure trente de lecture. Vingt minutes de silence pour écouter les émotions et reprendre ma respiration après de fortes houles dans le bastingage.
Jamais je n’oublierai ce 25 novembre 2022 à Clermont-Ferrand.
Merci à Philippe Chevrette, l’organisateur de ces trois jours de rencontres, au Président de l’association et à toute l’équipe qui a conçu le programme de ces trois jours exceptionnels. À ces rencontres aidant à partager les mémoires. À cet élan de Fraternité entre nos deux peuples.
Serge Pauthe